20 ans pour le Couloir des mondes

Je sais que certains aiment bien citer l’âge de leur projet, comme si avoir un univers vieux de douze ans est automatiquement signe de qualité. Je n’ai jamais réellement compté l’âge du Couloir des mondes, mais tous les X ans, je me dis « tient, combien de temps, je galère avec ? ». Quand je change le design de mes personnages, j’aime bien sortir de vieux dessins pour comparer. Comme je classe mes dessins par année, il est facile de voir l’évolution.

Hé bien, cette année, l’univers fête ses 20 ans. Oui, comme Harry Potter. Sauf que je n’ai rien publié en 20 ans, car je m’amuse à construire l’univers plutôt que le narrer. D’ailleurs, construire une histoire qui tient debout dans ce genre de cadre est difficile ! Cela mériterait une note à part.

Donc oui, 20 ans. Cela fait un coup de vieux. Et parce que cela fait 20 ans que j’ai ce projet sur le dos, je peux confirmer que l’âge d’un univers n’est pas gage de qualité. Bien au contraire, en 20 ans, on peut couver de ces idées terribles, sans avoir le recul, ou le cœur (parce qu’on s’attache trop à certaines choses) de les enlever.

Je me suis dit que 20 ans se fêtent malgré tout. Mais comment ? J’ai décidé de faire un petit récapitulatif de ces 20 derniers ans, un petit bilan, comment le projet a évolué et changé. Car il ne reste que très peu de choses de ces origines. Certains amis m’ont dit être impressionnés que je n’aie jamais lâché un univers d’enfance. Dans les faits, je suis quelqu’un qui n’aime pas jeter. Je garde tout jusqu’à l’user à la corde, et même usé, il m’arrive de garder. Il en est de même pour mes histoires : plutôt que de jeter, je préfère recycler et remanier. Ce qui fait qu’après 20 ans, j’ai toujours les mêmes personnages, mais qui n’ont plus rien en commun avec leur version de 1997-98, sauf peut-être quelques éléments d’apparence, ou une base de personnalité.

La Vie morte n’a pas exactement 20 ans, pourtant le projet est parfait pour illustrer mes propos et servir d’exemple. Mais commençons par le début qui va être vite plié :

Pourquoi le Couloir des mondes existe-t-il ?

J’avais 8 ans, et j’étais une avide consommatrice d’univers fictifs. Et comme tout bon enfant, je reprenais ce que j’aimais de cesdits univers pour les mettre ensemble, secouer et regarder ce qui en sortait. Cependant, j’étais déjà une flemmarde au fond de moi, cela m’ennuyait fortement de devoir recréer à chaque fois mes personnages pour les placer dans un univers qui me plaisait.D’autant plus que je m’attachais à ces personnages. Car oui, à 8 ans, j’écrivais ce que les gens appellent maintenant des « fanfics » sauf que je n’avais aucune idée ce que c’était (en 97-98, point d’internet).

J’ai donc décidé que, hop ! le voyage entre les mondes est possible. Bon, comment, du coup ? Ah bah, je vais créer une race qui a des pouvoirs magiques super cool ! Comme ça, je peux réutiliser les mêmes personnages et les mettre dans tous les univers possibles sans que cela crée une incohérence !

Ah bah aussi, tant qu’à créer une race, autant la faire différente des humains, vraiment différente ! Donc qu’est-ce qui caractérise un humain ? Hé bien, c’est à ce moment-là, du haut de mes 8 ans, je faisais n’importe quoi, parce qu’il faut dire qu’on n’a pas tant l’expérience à cet âge pour créer quelque chose de cohérent. Malgré tout, la réponse à cette question a posé les fondations des Kurukas — nom que j’ai créé à 8 ans aussi — et qui tiennent bon jusqu’à maintenant. L’avantage des enfants est qu’ils sont doués à penser « outside of the box ».

Donc, 8 ans je me suis dit, pour le bien et pour le pire :

  • Les humains n’ont pas de magie. Les kurukas sont que magie.
  • Les humains ont tous la même base d’apparence. Les kurukas vont avoir des apparences différentes.
  • Les humains meurent pour de bon. Les kurukas meurent « temporairement ».
  • Les humains sont constitués d’hommes et de femmes (à 8 ans, la sexualité et le genre, ça me dépassait un peu). Les kurukas n’ont pas de genre et de sexualité, parce que magie (des années plus tard j’en voulais beaucoup à mon moi de 8 ans pour cette excuse de « ta gueule c’est magique »). Ou comment j’ai décidé de déjà mettre à l’envers le concept du genre, 20 ans avant que cela ne devienne la mode.
  • Les humains vivent grâce à leur coeur à l’intérieur de leur corps (ou comment simplifier la chose à l’extrême). Le « coeur » d’un kuruka se trouve à l’extérieur de leur corps.

Beaucoup de choses ont changé au cours de 20 ans, mais les réflexions que je me suis faites à ce moment-là, sont toujours valides. Maintenant, elles sont précisées, lissées, nettoyées de tout parasite. Les kurukas sont toujours asexués, ils sont toujours que magie, avec un corps physique qui les ancre dans la réalité. La mort est toujours qu’un état transitoire souvent non définitif. Ils vivent grâce à ce qu’ils appellent un « Allié » qui est extérieur à leur corps. L’Allié est devenu le point central qui donne du sens à l’ensemble des caractéristiques kurukas.

Donc, j’avais une excuse de balancer les mêmes personnages partout où j’en avais envie. Il m’aura fallu un petit moment pour retracer qui était vraiment le premier personnage de mon cru (plutôt que copier un personnage d’un univers que j’appréciais, parce que, mon dieu, enfant, qu’est-ce qu’on pique les idées partout), mais j’ai fini par lui mettre la main dessus : ce cher Venon a donc 20 ans cette année. Cela lui fait un certain âge. Mon premier personnage était un gros méchant pas beau qui aimait le sang, la torture et la chasse aux kurukas pour les tuer, pour la simple et bonne raison qu’il le pouvait. Le « méchant pour être méchant ». Il est évident que maintenant, le personnage est un peu plus nuancé.

Ca nous rajeunit pas, toussa.

Justement, parlons un peu de l’histoire où il joue un rôle important.

La Vie morte

Dernièrement, j’ai écouté quelques conférences des Imaginales 2017 qui s’est déroulées il y a pas si longtemps. Il paraît que le premier roman qu’on écrit est souvent celui qui ne sera pas publié, car il est mauvais. Un roman pour le tiroir, le temps de se faire la main. La Vie morte est un peu ce roman tiroir.

Sa toute première version, enterrée depuis longtemps : Kiara, une princesse garçon manqué, Celian vagabond, et Ferval grand méchant scellé. Trois élus malgré eux par le dieu du coin. Venon descelle Ferval pour semer la terreur, et Kiara se met en quête pour trouver le dernier élu (Celian) et renfermer Ferval pour de bon. Sur la route, des donjons et des objets à récupérer. Monde médiéval fantasy.

Outsch. Devinez le jeu vidéo que j’adorais quand j’étais jeune adolescente. Si vous avez pensé Zelda, vous avez raison.

Maintenant, l’histoire est un chantier, après être passé par un premier remaniement, qui se voit encore une fois filtrer de parasite. Ferval existe toujours, mais il a bien changé. Ce pauvre personnage maltraité en tant que sous-méchant a maintenant migré auprès de Féchin pour devenir un Passeur, les spécialistes du voyage entre les mondes. Celian et Kiara n’ont pas réussi à survivre. Il y a des idées et des cas perdus qu’il vaut mieux rayer définitivement. Celian a gentiment laissé place à Saêl.

Maintenant, la version actuelle de la Vie morte :

Saêl, marchand d’art illégal, décide de détruire le monde, qui oscille entre avancée technologique et magique et gouffre social. Un monde qui va à sa perte dans les yeux de Saêl qui s’engage dans une partie d’échec taille réelle dont il apprend les règles du jeu en cours de route et souvent à ses dépens.

On peut dire que cela a bien changé ! Pour le moment, les détails d’histoires ne sont pas définis. Car, autant la Vie morte est un projet de longue date, autant c’est justement à cause de ça qu’il est fragile. Plus qu’une histoire, il s’agit d’un micmac indigeste de pratiquement une quinzaine d’années où j’ai cueilli de l’inspiration à droite et à gauche et fait mes propres expériences qui sont venues enrichir l’univers au fur et à mesure. Je me suis contentée de tout entasser, au lieu de trier dès le départ. Et je pense que c’est bien là le problème d’un projet qui dure des années, ce danger d’entasser et de garder des choses qui ne devraient plus exister, et ne pas avoir le recul nécessaire pour les voir. Il faut bien l’avouer, c’est valorisant de se dire « regardez, mon univers, il a 20 ans », et il faut un bon paquet de recul et d’œil critique pour réaliser que de ces 20 ans, seulement les 4 derniers valent vraiment quelque chose. Finalement, si un projet est si vieux, c’est qu’il y a une forte chance qu’on s’est égaré quelque part sur le chemin. Et l’adolescence est justement l’époque ou on s’égare pour trouver le chemin qui convient le mieux, et cela s’est reflété dans l’évolution tout entière du Couloir des mondes, pour le bien, mais aussi pour le pire.

Et c’est là qu’Oséamune entre en jeu.

Oséamune (Paroles de verre)

À la base, Oséamune a été un univers de jeu de rôle pour faire découvrir les kurukas aux gens. Je l’avais créée pour une ancienne amie. Très vite j’ai su que je voulais faire d’Oséamune quelque chose de concret et de réel, une histoire à montrer aux gens. J’ai réalisé qu’autant j’ai envie de partager mon univers, autant je n’avais vraiment pas envie de le faire sous forme de jeu de rôle, ou histoire à plusieurs où d’autres gens pourraient s’approprier ce qui n’était pas à eux pour commencer. Je n’avais plus envie d’entendre des remarques de certains qui pensaient mieux savoir que moi de quoi il en retournait avec le Couloir des mondes. Je trouve ça marrant de voir des gens créer des kurukas, mais je trouve ça beaucoup moins drôle de les voir penser mieux connaître le sujet que moi.

Oséamune est la mise en point de l’univers du Couloir des mondes. Transformer un univers de jeu de rôle, en univers qui fonctionne comme histoire m’a permis de mieux définir les choses, de voir plus claire. Oséamune ne venait pas avec un bagage de 10 ans d’existence, comme la Vie morte au moment où j’ai décidé de la reprendre, ce qui m’a permis de faire une mise au point plus facilement. Et par ricochet, ça m’a aidé de mieux définir ce que je voulais faire de l’espèce de cumul abracadabrante qu’était la Vie morte. Cette mise au point, je l’ai faite en 2016. Je ne sais toujours pas à quoi ressemblera la Vie morte en fin de compte, mais je sais à quoi ressemble Oséamune. Je sais à quoi ressemble le Couloir des mondes, le système de magie, la base de langues, des détails d’univers avec lesquels je me bataillais beaucoup il y a dix ans. Je sais à quoi ressemblent les kurukas, et j’ai remis au goût du jour pas mal de personnages. J’ai fusionné pas mal de monde, viré ceux qui sont en trop.

Je sais aussi que j’ai grande envie de bloquer quelques mois pour pouvoir enfin retravailler Mortelles divinités qui attend depuis trop longtemps d’évoluer du premier jet en manuscrit potable.

Bref, Oséamune est le moment où j’ai enfin su ce que je voulais faire des centaines de pages de notes bric-à-brac sur un univers qui a évolué en même temps que moi et qui ne ressemblait, du coup, à rien.

Et pour rire, je vais finir sur quelques personnages

Quelques évolutions de personnages

Parce que j’ai beau parler de l’évolution, rien ne vaut quelques exemples visuels ! Les dessins n’ont pour la plupart pas 20 ans. Au moment où j’ai commencé à avoir les idées du haut de mes 8 ans, les coucher sur papier n’était pas ma priorité (j’étais plus occupée à dessiner du Dragonball et du Saint Seiya, voyez-vous).

Thokou

Thokou est sans doute l’exemple qui illustre le mieux comment j’aime recycler tout et n’importe quoi. Le personnage n’a pas tout à fait 20 ans à 2-3 années près, je pense.

Thokou était, au début des années 2000, le petit frère de Calire. Pas son vrai petit frère, mais il y avait une amitié fraternelle entre eux. À l’époque, comme j’avais découvert le manga, ce pauvre avait hérité du nom (et pas mal de l’apparence) d’Hokuto de B’TX. Au moment où j’en avais marre des noms japonais dans un univers pas japonais pour un sou, j’ai cherché de nouveaux noms pour pas mal de monde. Thokou est bêtement une anagramme d’Hokuto. Je recycle jusqu’au nom des personnages. Pas toujours, mais de temps en temps.

Le Thokou de l’époque avait aussi une terrible histoire à faire pleurer un poisson rouge, capturé par le grand méchant Venon pour se faire transformer à moitié en androïde, le tout saupoudré d’une dose de culpabilité de la part de Calire qui se sentait responsable de cet évènement ô si tragique. Et pourtant, ce n’était pas l’histoire la plus dramatique que j’ai faite. Je passé pas mal de temps dans la période « les personnages doivent vivre des atrocités pour être intéressants ». Le summum devait être Mérésin. Entretemps, son histoire est devenue bien plus posée également.

Une magnifique image illustre ce pauvre Thokou malmené de la vie, comparé à ce qu’il est devenu maintenant :

Entretemps on me demande souvent s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Je réponds que c’est un enfant, et que je ne me pose pas vraiment la question sur sa sexualité. Thokou a vraiment d’autres chats à fouetter dans sa jeunesse. Il cherche à trouver une raison à son existence et à se construire à partir de rien, et il va passer par plusieurs cases, mais jamais celle du genre.

La vraie réponse est que Thokou est, comme beaucoup de kurukas, asexué et que le sujet lui passe par dessus la tête. Dans Oséamune, l’administration le mettra par défaut dans la casse « fille ».

Ah, Oséamune et ses problématiques de pronoms parce que, il y a 20 ans, j’ai décidé de créer une race qui n’en avait rien à cirer !

Mérésin

Pour la peine, voici également l’évolution de Mérésin, avec la date de réalisation des images. Le personnage en lui-même date de 2005.

Mérésin a eu une évolution intéressante, car c’est un des rares qui est évolué d’une sorte de personnage parfait au passé tragique, à quelqu’un de beaucoup plus fourbe et rusé. Sans pour autant avoir un fond méchant, Mérésin est devenu quelqu’un à qui il ne faut pas confier son chat.

L’organisation des Gardiens

Vu qu’on est déjà bien dans l’autodérision, je vais sortir les exemples les plus marquants du tréfonds de mon adolescence. L’organisation des Gardiens a changé d’un rassemblement de méchants anges déchus plus terribles les uns des autres en une vraie organisation avec plusieurs comptables et secrétaires ainsi qu’un budget (qui leur fait toujours défaut) !

Le changement de characterdesign a été radical.

Le seul héritage qu’ils ont de leur passé d’anges est les terminaisons en – (i) el, que j’ai finalement gardé en nom de code pour protéger leur vie privée (seuls des membres spécifiques ont accès aux données personnelles des gens).


Voilà, je pense que c’est assez pour un petit bilan. Il y a beaucoup de choses à dire sans qu’il y a vraiment quelque chose à dire.

En conclusion, je pense qu’avoir un projet qui s’étale sur trop d’années est plus néfaste que bénéfique du moment qu’on est incapable d’avoir une certaine distance. Un univers n’est pas comme un bon vin, il ne devient pas magiquement meilleur plus le temps passe.

En espérant que vous avez trouvé la lecture intéressante, n’hésitez pas à me laisser un petit mot, ou de me faire part de votre réflexion sur le sujet !